Carrefour racket, Justice complice

Condamnation en appel des inculpé·es pour une autoréduction dans un Carrefour parisien

Le samedi 30 janvier 2021 en pleine période du Covid, de couvre-feu et après presque un an de confinements successifs, une cinquantaine de personnes, mobilisées depuis plusieurs mois pour la solidarité alimentaire face à la crise sanitaire, organise une action de réquisition de produits de première nécessité dans un magasin Carrefour Market du 13e arrondissement. Après négociation, la direction de Carrefour a donné son accord pour que des produits alimentaires et d’hygiène soient emmenés, produits qui ont ensuite été redistribués à des personnes précarisées par la crise sanitaire et sociale.

Suite à cette action le directeur du magasin est revenu sur l’accord passé et a porté plainte contre deux des participant·es dont l’identité avait été relevée au hasard par les forces de l’ordre présentes sur place.

Après le procès en première instance le 14 octobre 2021, les deux camarades inculpé·es pour cette action collective ont été condamné·es à 2000 et 1500 euros d’amende avec sursis pour vol en réunion, ainsi qu’à payer 38 000 euros de dommages et intérêts au groupe Carrefour (plus d’infos ici).

Le procès en appel a eu lieu le 7 octobre 2024 et le jugement est tombé le 4 décembre. Les deux camarades ont une nouvelle fois été reconnu·es coupables (amendes avec sursis) et le montant des dommages et intérêts a été ramené à 27 000 euros.

Lors de ce procès en appel, les deux inculpé·es, leur avocate, ainsi que trois témoins ont rappelé aux juges que le directeur du Carrefour avait donné son accord, que cet accord avait été respecté, que la pandémie du Covid et sa gestion avait mis en grande précarité alimentaire des milliers de personnes en région parisienne, que les produits récupérés avaient été redistribués à des personnes qui en avaient besoin, que les documents fournis par Carrefour pour justifier sa plainte pour vol en réunion (notamment un inventaire réalisé 3 jours après) n’avaient aucun lien avec l’action, rien n’y a fait, les trois juges ont largement suivi les demandes de la multinationale. Durant l’audience, qui a duré plus de trois heures, l’avocat de Carrefour n’a pas prononcé plus de quatre mots mais cela a suffi pour obtenir satisfaction.

Dans le détail, les 27 000 euros de condamnation se composent de :

  • 8 500 euros de produits n’étant pas considéré comme de première nécessité et que Carrefour accuse les participant·es d’avoir pris (quantité invraisemblable d’alcool, matériel hi-fi de toute sorte, produits frais “de luxe” – alors même que les sacs avaient été contrôlés à la sortie…).
    Pour le dire autrement Carrefour se fait payer ses erreurs de stocks par les inculpé·es.
  • 7 500 euros de perte d’exploitation pour le magasin, alors que c’est le gérant qui avait décidé de fermer le magasin durant l’action et plusieurs heures après le départ des manifestant·es, et que par ailleurs ce chiffre est basé sur une estimation du chiffre d’affaires et non pas du bénéfice. En condamnant les prévenu·es à indemniser Carrefour tout à la fois pour des marchandises emportées et celles qui auraient pu être achetées (et ont pu être vendues plus tard) les juges doublent quasiment le chiffre d’affaires du magasin pendant la période en cause. En clair le tribunal permet à Carrefour de se faire de l’argent sur le dos de l’action (juridiquement ça s’appelle « enrichissement sans cause »).
  • Et enfin 1000 euros de frais pour préjudice d’image, préjudice probablement davantage occasionné par ces deux procès contre deux militant·es que par l’action elle-même.

Dans leur rendu les juges reconnaissent explicitement qu’un accord existait entre le directeur et les participant·es à la réquisition et qu’il ne pouvait y avoir de poursuite sur cet aspect. Pour pouvoir quand-même condamner les accusé·es, ils ont donc dû valider les mensonges flagrants de Carrefour et les documents fournis insinuant que l’accord – prendre des produits alimentaires et d’hygiène de première nécessité – n’avait pas été respecté. Sans doute leur fallait-il trouver un moyen de réprimer ce type d’action de solidarité visant des entreprises multimilliardaires.

Ce jugement s’inscrit dans une certaine tendance de la répression des manifestant·es et des actions militantes qui se développe depuis quelques années : une condamnation au pénal mais surtout des amendes, des dommages et intérêts, des indemnisations aux montants extrêmement élevés. C’est alors la contrainte financière qui assure en grande partie la fonction répressive de la peine judiciaire. À titre d’exemple, en 2016 pendant le mouvement contre la loi travail, un manifestant est condamné à trois mois de prison avec sursis pour un prétendu jet de pétard sur la police mais condamné au civil à 82000 euros de dommages et intérêts. En 2017 Greenpeace a été condamné à 670 000 euros de dommages et intérêts, 5 000 euros pour atteinte à la réputation et 25 000 euros d’amendes après l’intrusion de vingt-sept militant·es sur le site d’une centrale nucléaire en Ardèche afin de dénoncer la vulnérabilité des piscines d’entreposage de combustible radioactif usé. En 2021 c’est 125 000 euros de dommages et intérêts pour dénigrement, à l’encontre d’une lanceuse d’alerte qui dénonçait la présence de pesticides dans plusieurs vins estampillés haute valeur environnementale. Dans ces affaires comme dans le procès initié par Carrefour, c’est la contrainte financière qui assure en grande partie la fonction répressive de la peine judiciaire.

Un pourvoi en cassation a été déposé. Il est évident que si Carrefour a l’indécence de faire une quelconque démarche pour récupérer les 27000 euros de dommages et intérêts nous communiquerons immédiatement et publiquement afin d’empêcher que cette entreprise qui réalise plus d’un milliard de bénéfice par an s’enrichisse encore plus sur le dos de deux militant·es précaires qui participaient à une action de solidarité.

On paie pas, On paie pas,
Même si Carrefour ne veut pas nous on paie pas !
Pour l’estomac des précaires,
Et le salaire des caissières
Même si Carrefour ne veut pas nous on paie pas !

Collectif de solidarité avec les inculpé·es

POUR DES LENTILLES ET DU PQ, une BD pour les autoréductions et contre Carrefour

En janvier 2021, une cinquantaine de militant·es et précaires ont procédé à une action de réquisition alimentaire (autoréduction) dans un Carrefour market à Paris. Pour y avoir participé, deux personnes ont été condamnées à verser au groupe Carrefour plus de 38 000 euros. Elles ont décidé de faire appel et leur procès a eu lieu le 7 octobre 2024 à la cour d’appel de Paris. Le verdict sera rendu le 4 décembre 2024.

Réalisés juste avant le procès en appel, voici les deux épisodes d’un petit western en BD pour revenir sur cette histoire de solidarité et de répression...

Tout de suite l’épisode 2:

Contre Carrefour et pour les autoréductions: procès en appel lundi 7 octobre 2024

En janvier 2021, après presque un an de confinement, une cinquantaine de militant·es et précaires ont procédé à une action de réquisition alimentaire (autoréduction) dans un Carrefour market à Paris. Pour y avoir participé, deux personnes ont été condamnées à verser au groupe Carrefour plus de 38 000 euros. Elles ont décidé de faire appel et leur procès aura lieu le 7 octobre 2024 à la cour d’appel de Paris. Outre les dommages et intérêts exorbitants, cette affaire pourrait faire jurisprudence pour d’autres actions du même type. C’est donc aussi la défense de cette pratique militante qui est en jeu.

 

On a tou·te·s droit au meilleur, alors prenons-le !

En mars 2020, en pleine pandémie, alors que l’État abandonnait les plus précaires et que les associations caritatives avaient dû cesser toute activité, de nombreuses personnes partout en France se sont mobilisées autour de l’autodéfense alimentaire et sanitaire en distribuant repas et kits de protection (masques cousus à la main et fioles de gel hydroalcoolique), notamment au sein de « brigades de solidarité populaire ». Après avoir organisé durant des mois des récup’ au « marché d’intérêt national de Rungis », des collectes devant les supermarchés et des appels aux dons de particuliers, certaines personnes ont décidé de ne plus se contenter des miettes et des invendus de médiocre qualité et de pousser la grande distribution, qui profitait grassement de cette crise sanitaire, à contribuer à cette solidarité.

Le samedi 30 janvier 2021, au sortir du deuxième confinement et en plein couvre-feu, nous sommes donc une cinquantaine de personnes à avoir rempli des caddies de produits alimentaires et hygiéniques dans le Carrefour market de la rue Nationale dans le XIIIe arrondissement de Paris. Après avoir distribué des tracts tant aux salarié·e·s qu’aux client·e·s présent·e·s sur place, déployé deux banderoles, bloqué certaines caisses et expliqué au mégaphone les raisons de cette action publique, une négociation a été entamée avec la direction. Contacté au téléphone par le directeur du magasin, le siège de Carrefour a donné assez rapidement son accord pour que les marchandises nous soient concédées, à condition qu’il s’agisse de « produits de première nécessité ».

Cette expression, « produits de première nécessité », ne signifiait pas pour nous produits de mauvaise qualité. Il a donc fallu discuter avec le directeur sur le nombre d’articles choisis, argumenter pourquoi nous avions besoin de produits d’hygiène (tampons, serviettes…) et pas seulement de nourriture. Pourquoi nous voulions prendre du lait maternisé bio, pourquoi nous choisissions des couches pour bébés sans chlore plutôt que les moins chères… Au bout d’une heure, nous sommes partis avec l’accord de la direction de Carrefour, les sacs vérifiés par les agents de sécurité, et sous le regard de la police présente à la sortie du magasin. Les denrées récupérées ont ensuite été redistribuées grâce à des réseaux de solidarité tissés depuis le premier confinement avec des mères isolées, des étudiant·es, des travailleur·se·s sans papiers… De quoi prendre soin de soi, se nourrir, se protéger, se laver, sans se soucier du prix.

Quand la justice maximise les profits de la grande distribution

Juste après l’action, deux personnes ont été aléatoirement contrôlées, puis condamnées quelques mois plus tard pour vol en réunion sur la base d’un dossier monté uniquement à charge par Carrefour, qui est revenu sur son engagement à céder les marchandises sans poursuite judiciaire. Bizarrement, c’est la procureure qui a peut-être le mieux compris la portée politique de l’action en comparant les inculpé·es à des « Robins des Bois ». Elle a dit avoir hésité à trouver une qualification pénale, pour finalement réclamer un « avertissement », soit une peine de 2 000 euros avec sursis simple. Pendant ce temps, la juge – qui somnolait – a laissé tomber le verdict : un avertissement et 2 000 euros avec sursis du côté du pénal et côté civil plus de 38.000 euros en dommages et intérêts pour le groupe Carrefour.

Au-delà des incohérences juridiques, la condamnation des camarades pour une action de solidarité en pleine pandémie mondiale, avec la précarité et la détresse alimentaire de millions de personnes, isolées par les confinements successifs, et, en miroir, une augmentation vertigineuse des profits de la grande distribution profitant de la fermeture des marchés et des commerces de proximité, est l’indécence incarnée. Faut-il rappeler les 94 milliards d’euros de chiffre d’affaires l’année dernière du géant de la grande distribution ?

Car le groupe Carrefour est en effet un modèle d’entreprise qui sait profiter de toutes les crises. En 2019 et 2020, la multinationale, dont les magasins sont restés ouverts lors des confinements, a connu une hausse de son chiffre d’affaires sans précédent depuis vingt ans. Après la pandémie, les hypermarchés ont décidé de profiter de l’inflation pour se revitaliser. En novembre 2022, Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, a présenté son plan stratégique pour les quatre prochaines années : miser sur le discount pour attirer des client·e·s de plus en plus pauvres, développer sa marque propre pour réduire les coûts et, bien sûr, supprimer des postes. Ce qui n’empêche pas l’enseigne française, bien au contraire, de communiquer à coup de labels et de fondations sur sa politique d’« engagement sociétal » et de « transition alimentaire solidaire ». Green et social washing à plein nez alors que l’inflation perdure en France et que nous peinons à nous nourrir, nous chauffer, nous loger, nous vêtir. Face à la vie toujours plus chère, nous refusons la criminalisation de l’autoréduction, qui est une pratique qui s’impose comme une réponse légitime face à des inégalités toujours plus criantes.

Parce que le groupe Carrefour a mis en danger la vie de ses salarié·e·s pendant la pandémie et qu’il s’engraisse sur leur dos, parce qu’il appauvrit les paysan·ne·s pour mieux s’enrichir, parce qu’il est complice des crimes de guerres de l’État d’Israël et qu’il contribue à la déforestation en Amazonie, parce qu’il y a mille et une raisons de détester Carrefour… Parce que nous continuerons à tisser des liens de résistance et à prôner une solidarité offensive dans nos modalités d’actions, nous appelons à multiplier les actions contre Carrefour et venir soutenir les camarades inculpé·e·s lors de leur procès en appel.

Relaxe pour les deux camarades inculpé·e·s !

Rendez-vous lundi 7 octobre à 13h30 à la cour d’appel de Paris (métro Cité) pour soutenir les deux camarades inculpé.es

 

Tract Procès 7 octobre mis en page à télécharger

 

 

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